Public Enemy

Naissance

New York, , United States

Biographie

Groupe pionnier du rap, Public Enemy arrive en 1987 avec un discours critique sur la politique sociale et les médias. Signé sur le label Def Jam de Dr. Dre, le collectif mené par Chuck D impose une image et un style révolutionnaires dès le premier album Yo! Bum Rush the Show (1987). Malgré les polémiques sur l'aspect revendicatif et radical, Public Enemy lance deux pavés dans la mare du rap avec It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back (1988) et Fear of a Black Planet (1990), albums novateurs regorgeant de samples et de scratches. Au passage, le groupe délivre les standards du genre : après « Rebel Without a Pause » suivent « Fight the Power », « Don't Believe the Hype » et « Bring the Noise ». Il survit au départ de Professor Griff (membre de la Nation of Islam), collabore avec le groupe de hard rock Anthrax et compose la bande originale du film He Got Game (1998), après Muse Sick-N-Hour Mess Age (1994). Les années 2000 s'avèrent moins médiatiques malgré la régularité des productions sur différents labels et leur distribution via le site du groupe. En 2007, l'album How You Sell Soul to a Soulless People Who Sold Their Soul? montre que Public Enemy reste aussi actif qu'offensif.

Alors qu'il donne un coup de main à livrer des meubles avec son père, le rappeur Chuck D (né Carlton Ridenhour en 1960) peaufine son style, un mélange de critique sociale et politique posée sur des rythmiques percutantes formant l'ossature musicale de morceaux surpeuplés de sonorités diverses, pour le compte de Spectrum City. En compagnie de Flavor Flav (William Drayton Jr., 1959) et des architectes sonores de la Bomb Squad (Hank et Keith Shocklee, Gary G-Wiz, Eric « Vietnam » Sadler), ils sortent « Check Out the Radio » et sa face B « Lies », qui ne passent pas inaperçus auprès de leurs futurs collègues de label Run-D.M.C. et Beastie Boys.

C'est lorsqu'il travaille encore pour la radio WBAU que Chuck D sort la cassette promotionnelle Public Enemy #1 (au titre inspiré d'un morceau très Black Power de James Brown), se sentant menacé par des artistes de la scène locale. Le producteur Rick Rubin ne tarde pas à entendre le morceau-titre de cette cassette, par l'intermédiaire de l'influent programmateur Andre « Dr. Dre » Brown, et les signe immédiatement sur son label Def Jam, encore bourgeonnant. Aidés par Bill Stephney, ancien directeur des programmes de la radio sur laquelle officie Chuck D, ils considèrent chacun qu'il est temps de partir des styles des artistes du label et d'y incorporer le contenu chargé de Public Enemy. Le recrutement de Professor Griff (Richard Griffin), désigné « Ministre de l'information », de Terminator X (Norman Rogers) comme DJ et la présence dissuasive des S1W (« Sécurité du monde premier ») complètent la formation Public Enemy.

Paru au début de l'année 1987, le premier albumYo ! Bum Rush the Show a besoin d'une bonne année pour atteindre sa pleine mesure. Tout est en effet révolutionnaire dans cette oeuvre : le contenu politiquement chargé et omniprésent, explosant le carcan des artistes plus habitués à ces thématiques comme Ice-T et surtout KRS-One, l'imagerie forte véhiculée, sur scène ou sur disque, avec probablement l'une des premières pochettes du rap représentant des Noirs armés, un DJ intégrant les dernières techniques de musicien des platines et dont les samples font partie intégrante de l'ensemble sonore, les productions surchargées de la Bomb Squad, piochant dans la totalité du spectre musical, ne facilitent pas l'assimilation par un auditeur néophyte. Ils sont ainsi à l'origine d'un nouveau mouvement célébrant les vertus d'un retour à l'Afrique originelle, les exemples les plus flagrants s'y retrouvant sur les premiers albums de chacun des membres de la Native Tongue, A Tribe Called Quest, Jungle Brothers et De La Soul. La charge de ce premier album est violente, comme en témoigne le hit « Rebel Without a Pause » avec force bruitages de sirènes et cris.

Forts de cette reconnaissance médiatique certes tardive, les deux frères Shocklee et Eric « Vietnam » Sadler rebranchent leurs machines et empilent de plus belle les couches sonores les plus improbables pour offrir en juin 1988 l'un des disques les plus importants de l'histoire du rap : It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back. Tous les ingrédients du premier album sont réunis mais l'édifice est bien plus cohérent et riche car mûri après une année à développer leurs thèmes de prédilection, à savoir des revendications politiques très prononcées et une méfiance permanente et viscérale vis-à-vis du rôle très pernicieux des médias. La Bomb Squad est de plus en plus sollicitée à cette période, produisant ou remixant des artistes de la scène rap (Eric B. & Rakim, Third Bass, EPMD, Big Daddy Kane), R&B (Paula Abdul, Chaka Khan) voire rock (Peter Gabriel, Sinéad O'Connor). Mais leur collaboration la plus intéressante arrive avec la présence de trois rejetons de New Edition, Ricky Bell, Michael Bivins et Ronnie DeVoe, qui deviendront par la suite Bell Biv DeVoe (BBD).

D'autres membres de Public Enemy seront moins plébiscités, comme Professor Griff, tenant des propos déplacés à l'encontre de la population juive lors d'une interview légèrement orientée par le journaliste du Washington Post, David Mills, à l'été 1989. Peu aidé dans le lynchage médiatique qui suivra, par son rôle de fervent défenseur des idées du leader de la Nation of Islam, Louis Farrakhan, personnage politique hautement controversé. Mais Public Enemy restera quoiqu'il advienne toujours fidèle aux idées prônées par l'organisation. Suite à cette levée de boucliers, Griff est contraint de quitter le groupe, même si le contexte ne sera jamais clairement explicité. À partir de 1990, il forme Last Asiatic Disciples, une formation qui connaîtra par la suite un succès conséquent.

La Bomb Squad, tout comme les rappeurs, sont probablement au sommet de leur art du mélange des samples et des revendications politiques avec le troisième album Fear of a Black Planet, paru en mars 1990 et comportant les titres les plus marquants du groupe (« Fight the Power »). Pour ensuite le décliner sur chaque nouvelle sortie, le discours restant aussi véhément envers la classe politique mais la méthode ne se renouvelant guère. Ils en profitent cependant pour faire exploser les barrières musicales en collaborant avec l'emblématique groupe de hard rock Anthrax en 1991 sur « Bring the Noise », l'un des plus beaux fleurons de collaborations entre des artistes de rock et de rap. Def Jam va jusqu'à organiser une tournée improbable avec les deux groupes, glanant au passage bon nombre de nouvelles oreilles. Public Enemy avait toujours été jusque là l'un des premiers groupes à participer à de nombreux festivals, de l'Europe à l'Asie, offrant l'un des shows les plus spectaculaires dans le monde du hip-hop, la synergie évidente entre Chuck D et Flavor Flav explosant à la vue de tous et étant formidablement balancée par la rigueur de la garde rapprochée S1W disposant allégrement quelques savants gestes inspirés des arts martiaux.

Le groupe devient l'un des premiers à adopter le support numérique, proposant leurs albums en téléchargement libre depuis Muse Sick-N-Hour Mess Age (1994), et développant une véritable plate-forme musicale de leurs enregistrements via leur site web. Ils seront également parmi les premiers groupes de rap à voir un leurs membres s'afficher sans complexe dans un reality show, en la personne de Flavor Flav avec The Surreal Life, sur le plateau duquel il s'éprend de l'actrice danoise Brigitte Nielsen. Il continuera avec notamment Flavor of Love (Bachelor version rap), dans lequel des candidates doivent charmer le rappeur à l'horloge gigantesque éternellement pendue au cou.

Malgré une production régulière et de bonne tenue au cours des années 1990, notamment pour la bande originale du film de Spike Lee He Got Game (1998), ces « vétérans du rap » ont du mal à retenir une grande partie du public orientée vers le gangsta rap de Snoop Dogg, 2Pac et autre The Notorious B.I.G. Cependant, le collectif parvient à survivre à tout, y compris à son départ du label historique Def Jam et à produire une poignée d'albums sur de plus petites structures : There's a Poison Goin' On sur Atomic Pop (1999), Revolverlution sur Koch Records (2002), New Whirl Odor sur Slam Jamz (2005) et l'excellent Rebirth of a Nation, avec le rappeur Paris, sur Guerrilla Funk (2006).

Ces problèmes de distribution n'empêchent cependant pas le groupe à la réputation sulfureuse de sortir un nouvel album en 2007, How You Sell Soul to a Soulless People Who Sold Their Soul?, considéré par les critiques comme leur meilleure production depuis 2000. Même si le groupe semble de plus en plus déconnecté de l'univers véhiculé par les artistes hip-hop du moment, les « guerriers des mots » de Public Enemy jouent leurs rôles de garde-fou jusqu'au bout, tentant de sauver l'âme de chacun sur le chemin.