Joan Baez

Nom de naissance

Joan Chandos Baez

Naissance

9 Janvier 1941, Staten Island, New York, United States

Biographie

Plus qu'une grande interprète et auteur de chansons intelligentes, plus qu'une voix unique et immédiatement reconnaissable dans l'histoire de la musique enregistrée, Joan Baez (née à Staten Island, New York, le 9 janvier 1941) est surtout et avant tout une personne humaine remarquable, qui toute sa vie a été de tous les combats, sur tous les fronts, dans le monde entier, pour la non-violence, les droits civiques, les droits de l'homme, l'écologie, contre la guerre, la peine de mort, la pauvreté, la misère sociale, l'injustice, l'intolérance, l'homophobie, le racisme et la bêtise humaine en général. Cette mobilisation permanente et cette voix cristalline de soprano, expressive, une invitation à l'apaisement, lui ont valu nombre de moqueries et de sarcasmes, d'ostracisme et de jours d'emprisonnement. Ses six décennies de carrière et de luttes incessantes parlent pour elle. Symbole de l'esprit révolutionnaire des années soixante, Joan Baez demeure impliquée dans toutes les grandes causes du XXIème siècle.

Joan Chandos Baez est née le 9 janvier 1941 d'une mère d'origine irlandaise née en Écosse et d'un père mexicain physicien reconnu. Elle est élevée avec ses deux soeurs principalement en Californie, mais aussi dans plusieurs endroits de la planète à cause des engagements de son père à l'UNESCO, notamment à Paris, Rome, Genève, et Bagdad où elle découvre la pauvreté et la cruauté humaine. Méprisée par ses camarades d'école blancs à cause de sa peau fonçée et par les Mexicains parce qu'elle ne parle pas (encore) l'espagnol, elle se réfugie dans la musique.

Dotée d'une voix magnifique, elle s'accompagne à la guitare dès l'âge de quinze ans, influencée par la chanteuse noire Odetta, et apprend le répertoire du plus célèbre folk singer de l'époque, Pete Seeger. Sa famille émigrant en 1958 à Belmont près de Boston, ville pionnier du mouvement Folk, elle s'y plonge aussitôt, séduite par l'ambiance pacifiste et gauchiste de la ville la plus conservatrice des Etats-Unis. Elle rencontre un jeune auteur-compositeur-interprète de quatre mois son cadet, Robert Zimmerman (Bob Dylan), chez lequel elle devine talent et ambition, et qui deviendra son compagnon en 1962. Et avec deux amis, elle enregistre en 1959 dans une cave un album, dans lequel elle chante en solo six chansons (Folksingers 'Round Harvard Square). En juillet de la même année le chanteur Bob Gibson l'invite à la première édition du festival Folk de Newport, dont elle est la révélation, son teint olivâtre et sa longue chevelure « aile de corbeau », sa voix haute, précise, virginale et claire, envoûtant les spectateurs.

Maynard Ferguson le co-fondateur de la marque Vanguard, créée dix ans plus tôt à New York (d'abord spécialisée en musique classique, en jazz, puis récemment en folk songs -Cisco Houston, The Weavers-) est présent au festival, et il la signe quelques mois plus tard, une fois qu'elle lui ait présenté sa famille à Belmont ! Ses deux premiers albums contiennent exclusivement des chants traditionnels, le deuxième se vendant à plus de 500 000 copies peu après sa sortie fin 1961.

Ses deux suivants qui offrent plus de chansons contemporaines (Woody Guthrie « Pretty Boy Flood » par exemple) et explorent déjà d'autres horizons (Afrique, Brésil, gospel et blues) sont capturés en concert, seulement accompagnée de sa guitare sèche, malgré sa peur de la scène, et obtiennent autant de succès, surtout le second de 1963 dans lequel elle inaugure sa longue série de reprises de Bob Dylan. « Don't Think Twice, It's All Right » publié six mois plus tôt sur The Freewheelin' Bob Dylan, et surtout « With God on Our Side » que son auteur n'inclura qu'en janvier 1964 sur The Times They Are A-Changin' ; échange de bons procédés puisque Joan Baez a pris l'habitude de l'inviter sur scène en deuxième partie de presque chacun de ses concerts, contribuant grandement à la notoriété de son protégé. Entre-temps, la « passionaria », comme les journalistes commencent à la surnommer connaît une audience internationale lorsqu'elle participe à la fameuse marche pour les droits civiques sur Washington en août 1963, où elle interprète pieds nus l'hymne « We Shall Overcome » : Martin Luther King, qui vient de délivrer son célèbre « J'ai fait un rêve », la présente ainsi : « Je sais que beaucoup d'entre vous sont venus jusqu'ici juste pour l'entendre chanter ». Son succès va grandissant sur tout le continent, et vite au niveau international, mais elle demeure une interprète et une adaptatrice n'osant pas encore publier ses propres ?uvres. Ses reprises sont soigneusement choisies : elle puise dans le répertoire contestataire de Dylan, et d'autres auteurs politisés comme Phil Ochs (« There But For Fortune » en 1965) ou les nouveaux venus comme Donovan (« Colours »).

Au milieu des années 1960, le folk perd de son audience au profit de la pop, en particulier celle venue de Grande Bretagne. Comme d'autres, Joan Baez s'adapte en étoffant et en électrifiant l'instrumentation de ses disques. Son sixième album en automne 1965 marque un tournant dans son évolution ; Farewell Angelina contient quatre chansons de Dylan, dont le titre de l'album, l'une des plus belles de son auteur, qu'il avait enregistrée en janvier précédent mais pas incluse dans Bringing It All Back Home. Baez s'empare de cette fable surréaliste dont on ne connaîtra la version originale que 26 ans plus tard. Quant à celle qu'elle donne de « A Hard Rain's A-Gonna Fall », il n'en existe pas d'aussi incandescente. La même année elle fonde dans la Carmel Valley en Californie l'Institut pour l'étude de la non-violence.

En 1966 elle est de toute évidence la « Sad Eyed Lady of the Lowlands » de Dylan (sur Blonde On Blonde, comme « Visions Of Johanna »...). Après un album de transition consacré à des chants célébrant Noël (on ne ricane pas, il est magnifique, fête religieuse ou pas, et elle y chante en français pour la première fois), Joan en Eté 1967 enfonce le clou avec ses adaptations des Beatles, Tim Hardin, et enfin deux propres compositions dont son opposition (déjà) à l'engagement militaire américain au Vietnam, le saisissant « Saigon Bride ». En octobre 1967 elle est incarcérée avec sa mère, activiste elle aussi, à la prison Santa Rita en Californie, pour avoir apporté leur soutien aux objecteurs de conscience ; elle y rencontre David Harris et l'épouse à New York. Si elle déçoit avec un « concept album » en 1968 où Peter Schickele met en musique des textes de Blake, Rimbaud, Prévert, Joyce, Whitman ou Lorca, écrit son autobiographie (Daybreak) et renoue avec le succès commercial en réalisant à Nashville avec des musiciens de country (sous l'influence de son mari) un bel album-hommage à Dylan, Any Day Now, l'année où ils se séparent.

Ces huit ans de succès et de notoriété encouragent les vocations féminines : Judy Collins, puis Joni Mitchell et Emmylou Harris lui doivent beaucoup. Son gage d'amour David's Album au printemps 1969 (avec la première reprise du fameux « Hickory Wind » de Gram Parsons), l'arrestation et l'emprisonnement de son alter ego pacifiste de mari le 15 juillet 1969 précèdent son apparition (enceinte de Gabriel) en clôture du premier jour du festival de Woodstock qui la consacre définitivement dans le monde entier (elle y relate avec humour les conditions rocambolesques de l'arrestation de David Harris). L'année suivante sa première vraie chanson originale honore l'album que beaucoup considèrent comme son meilleur de l'époque, One Day At A Time : « Sweet Sir Galahad » (le « bon chevalier » - de la Table Ronde -, fils de Lancelot du Lac et découvreur du Graal). Elle y interprète aussi les Rolling Stones (!), Willie Nelson, et notamment une splendide version du « Seven Bridges Road » de Steve Young, popularisé par Eagles dix ans plus tard. Elle se produit dans la foulée aux festivals de Biot en France à l'été 70, et sur l'île de Wight.

En 1971, Joan Baez est au sommet de sa popularité : sa reprise inspirée d'une face B du Band parue deux ans plus tôt, « The Night They Drove Old Dixie Down » est n°3 aux États-Unis. Tandis que le thème du film franco-italien Sacco & Vanzetti composé par Ennio Morricone dont elle écrit aussi le texte, « Here's to You » (une mélodie rythmée en marche entêtante, « scie » un peu niaise qui fait le tour de la planète) est n°1 en en France en août 1971 et sacré « tube de l'été ». Lassée de la distribution internationale désordonnée de Vanguard et en fin de contrat, elle opte en 1972 pour A&M. Mais comme elle l'a confirmé lors d'une interview à Robbie Woliver (parue dans son livre Bringing It All Back Home en 1986), il est indéniable que son influence sur une génération n'a jamais été aussi grande que lors des années 1960, les années Vanguard. La première moitié des années 1970 voit effectivement décroître son audience (moins en France, un pays qui l'a toujours fidèlement suivie, où « Song Of Bangladesh » en mai 1972 est un hit moyen, ignoré dans le reste du monde et dont les gains vont aux malheureux affamés de ce pays ; une nouvelle génération la prenant déjà pour une « has been » et ses disques moyens mais toujours marqués politiquement lui conservant néanmoins des fidèles (en particulier Where Are You Now, My Son? en 1973 et ses bruitages de bombardement sur Hanoi qu'elle a vécu un an plus tôt lors d'une visite controversée, au plus fort de la guerre au Vietnam).

Après son divorce à l'amiable à la libération de son mari en 1973, elle propose enfin sa « grande ?uvre » au printemps 1975, l'album incontournable qui figure au panthéon des albums de musique populaire. Diamonds & Rust est une vraie réussite, plébiscitée par la critique et le grand public. Un album teinté de jazz, dominé par la plus belle chanson qu'elle ait jamais écrite, « Diamonds & Rust », où elle relate sa liaison avec Bob Dylan, sans sentimentalisme, beaucoup de ferveur et des mots scrupuleusement choisis. Ses interprétations marquantes ne sont pas en reste : Jackson Browne, Stevie Wonder, John Prine, son amie co-partenaire dans la lutte contre l'homophobie Janis Ian, et...Bob. Dylan l'invite d'ailleurs la même année sur sa tournée Rolling Thunder Revue et elle apparaît trois ans plus tard dans son film Renaldo and Clara.

Le reste de la décennie n'est malheureusement pas à la hauteur de ce coup de maître, ni non plus les années 1980, malgré un changement de maison de disques à nouveau, et un Recently d'excellente facture en 1988. Car Joan Baez fait désormais « partie des meubles » et n'intéresse plus qu'un fidèle noyau de convertis. Par contre, sa vie sociale est toujours aussi riche. Elle est faite en 1980 docteur ès lettres dans deux universités pour son activisme politique, et apparaît en 1983 à la cérémonie des Grammy Awards où elle interprète avec émotion « Blowin' In The Wind ». La même année, elle donne un concert poignant au Long Beach Amphitheatre devant un public de vétérans de la guerre du Vietnam dont les premiers rangs en chaises roulantes ; survient une coupure d'électricité lorsqu'elle entonne l'hymne « Amazing Grace », et elle poursuit a cappella devant un auditoire en pleurs. En 1985, elle est bien sûr du festival Live Aid à Philadelphie, qu'elle inaugure, puis s'implique totalement dans les manifestations et concerts d'Amnesty International. 1987 voit la parution de sa deuxième autobiographie And a Voice to Sing With (Une voix pour chanter, aux Presses de la cité) et de son meilleur album de la décennie, Recently, sur un label indépendant distribué par Virgin. En 1989, elle est l'une des actrices de la révolution pacifiste de la République tchèque (« la révolution de velours ») et se lie avec son futur président, Vaclav Havel, et signe un nouveau contrat directement avec Virgin, peu avant que ce label soit vendu à EMI qui ignore vite la musicienne.

Ses disques se font plus rares, Joan Baez se présentant sur tous les fronts : protestations contre la guerre du Golfe en 1991, contre la peine de mort infligée à Robert Harris à la prison de San Quentin (première exécution depuis le rétablissement de la peine de mort en Californie). En 1993, elle traverse les ruines fumantes de la Bosnie et est la première artiste à se produire à Sarajevo depuis le déclenchement de la guerre civile, puis se produit au pénitencier désaffecté d'Alcatraz au profit de l'organisation caritative Bread and Roses fondée en 1974 par sa s?ur cadette Mimi Farina. Le 26 septembre 1995, elle chante au Bottom Line à New York en compagnie de ses filles spirituelles Mary Chapin Carpenter, Mary Black, Dar Williams, où elle reprend une chanson récente de Dylan, « Ring Them Bells », tirée de Oh Mercy.

En 2003, Joan Baez interprète dans le très réussi Dark Chords on a Big Guitar (dédié au cinéaste Michael Moore) des chansons écrites par des auteurs dont elle aurait pu être la mère, voire la grand-mère : Ryan Adams, Joe Henry, Gillian Welch, Natalie Merchant, Greg Brown et surtout Steve Earle (« Christmas in Washington »), qui deviendra son principal collaborateur, et producteur en 2008. Son passage au New York's Bowery Ballroom en novembre 2004 est abondamment médiatisé (belle version du « Jerusalem » de Steve Earle). Après avoir à nouveau protesté en vain contre l'exécution du célèbre meneur de gang Tookie Williams en décembre 2005 à San Quentin, elle retourne en 2006 en République tchèque en invitée surprise pour l'édition annuelle de la conférence internationale Forum 2000 créée par Havel et le prix Nobel de la paix Elie Wiesel, puis proteste à nouveau contre la seconde guerre en Irak en septembre.

En février 2007, l'icône des féministes et emblème de la culture pop reçoit un Grammy Award pour l'ensemble de son oeuvre. Et à 67 ans l'infatigable chanteuse entame une énième tournée nord-américaine et europénne en mars 2008. Le 25 juillet, la diva est la vedette du festival Blues Passion à Cognac où elle refuse d'être filmée. Et le 14 octobre, elle se produit au très bourgeois Palais des congrès à Paris. En septembre 2008 paraît l'album Day After Tomorrow. Le suivant, Diamantes, ne sort que sept ans après, en mai 2015. Réservé d'abord au marché sud-américain, il bénéficie finalement d'une distribution internationale et comprend des titres chantés en anglais, en espagnol et en portugais, des reprises et des versions publiques inédites.

Le 27 janvier 2016, Joan Baez célèbre son 75ème anniversaire sur la scène du Beacon Theatre de New York, en compagnie de David Crosby, Emmylou Harris, Jackson Browne, David Bromberg, Mary Chapin Carpenter, Paul Simon, Damien Rice, Judy Collins, Mavis Staples, Nano Stern, Richard Thompson et des Indigo Girls. Le spectacle, filmé, fait l'objet d'une sortie en CD et DVD six mois plus tard. L'année suivante, elle a les honneurs du Rock and Roll Hall of Fame qui lui ouvre ses portes pendant qu'elle s'attelle à son vingt-cinquième album, Whistle Down the Wind. Publié en mars 2018, celui-ci compte une dizaine de reprises d'après Tom Waits, Josh Ritter, Mary Chapin Carpenter, Anohni, Eliza Gilkyson et Joe Henry, qui produit l'ensemble. La tournée qui suit est annoncée comme sa dernière, ses adieux à la scène.

« J'ai connu des moments assez sauvages, mais aussi des moments plus sérieux. En fait, les gens pensent que je suis trop sérieuse. J'ai ?uvré pour beaucoup de causes, la non-violence, les droits civiques et les droits internationaux. Dans la vie, vous devez faire ce que vous pouvez pour la rendre meilleure pour chacun sur cette planète. »