Dizzy Gillespie

Naissance

21 Octobre 1917, Cheraw, Caroline du Sud, United States

Biographie

Si une image a symbolisé le Jazz à la fin du XXème siècle, c'est bien celle des joues hypertrophiées, gonflées à en éclater, de Dizzy Gillespie soufflant dans sa trompette. Mais ce grand improvisateur ne se limitait aucunement à ses capacités d'amuseur, et tint un rôle central dans l'évolution du be-bop, du jazz afro-cubain et du jazz contemporain en général.

John Birks Gillespie commence à faire du bruit le 21 octobre 1917, à Cheraw (Caroline du Sud, Etats-Unis) : il est le cadet de neuf enfants. Le futur comique du jazz, élevé par un père tyrannique et violent, n'a pas beaucoup d'occasions de rire dans son enfance.

Début en fanfare

En 1927, son père meurt, laissant sa famille dans un état de grande détresse financière. Le petit Gillespie trouve, à la même époque, une certaine consolation dans la pratique de la musique, à laquelle l'a initié son professeur d'anglais. Il rejoint la fanfare de son école, dans laquelle il joue du trombone. Mais, ayant emprunté la trompette d'un voisin, il se découvre une passion pour cet instrument.

En 1935, il arrête sa scolarité pour déménager et rejoindre sa famille à Philadelphie. Rapidement, le jeune homme flirte avec le milieu musical de la grande ville commence à se produire avec divers orchestres. Sa tendance à faire l'imbécile lui vaut rapidement le surnom de « Dizzy » (que l'on pourrait traduire approximativement par « ahuri ») : le sobriquet semble avoir été trouvé par le pianiste Bill Doggett. Il obtient son premier engagement avec l'orchestre de Teddy Hill, avec lequel il effectue une tournée européenne.

Dizzy en big band

En 1939, Gillespie intègre la troupe de Cab Calloway, ce qui contribue largement à le lancer, tout en améliorant considérablement son niveau de vie : il commence à enregistrer ses premières compositions, et se produit dans de très nombreux clubs, comme le fameux Cotton Club, légendaire temple du swing new-yorkais étroitement contrôlé par des éléments de la pègre.

En 1940, il fait la connaissance de Charlie Parker, avec qui il se livre à quelques jam sessions mémorable. Réalisant des tournées à un rythme assez massacrant, Dizzy Gillespie trouve tout de même le temps de se produire avec d'autres musiciens dans des sessions interminables qui l'emportent jusqu'au bout de la nuit, et l'aident considérablement à renforcer son expérience musicale et ses capacités d'improvisation. Gillespie cesse en 1941 de travailler pour Cab Calloway, et participe à d'autres troupes, comme celle d'Ella Fitzgerald, avant de démarrer en 1942 une collaboration à l'orchestre de Earl Hines, où il retrouve Charlie Parker.

Dès l'année suivante, c'est un véritable Yalta du jazz quand une bonne partie des membres de l'orchestre de Hines, et non des moindres, font sécession pour lancer un nouvel ensemble musical, dont Billy Eckstine est le responsable et Gillespie le directeur musical. Charlie Parker et Sarah Vaughan font partie de l'aventure, qui leur permet de s'illustrer dans des exercices musicaux plus audacieux que chez Earl Hines.

Le roi du be bop

A partir du milieu des années 1940, Dizzy Gillespie s'affirme comme l'un des jazzmen de pointe de New York : ses compositions contribuent grandement à l'établissement d'un nouveau style musical, qui reçoit le nom de be bop. Après s'être séparé de Eckstine, Dizzy joue beaucoup avec Charlie Parker, et se produit avec une série de petits ensembles musicaux. Sa notoriété grandissante lui vaut de d'obtenir en 1944 le prix New Star Award, décerné par le magazine Esquire. Gillespie se produit à tours de bras dans la myriade de clubs de jazz de la 52ème rue de Manhattan, qui font du centre de la ville de New York l'un des centres névralgiques de la musique américaine : il devient une sorte de figure tutélaire pour de nombreux jazzmen, comme Miles Davis ou Max Roach, qu'il contribue à former et orienter musicalement.

En 1945, il monte son premier groupe en tant que leader. Le style d'interprétation de Dizzy Gillespie, qui gonfle ses joues à l'extrême lorsqu'il souffle dans sa trompette, contribue déjà à sa gloire, et devient aux yeux du grand public une marque de fabrique qui le rend instantanément reconnaissable : mais les qualités de l'artiste ne se limite pas à ce côté démonstratif, le roi du be bop s'affirmant comme l'un des jazzmen les plus dynamiques et novateurs de l'après-1945.

La 52ème rue devient pour Gillespie la rampe de lancement pour populariser un Jazz pointu, jusque-là réservé aux sessions nocturnes fréquentés par les véritables fondus. Capable d'improvisations très poussées, Gillespie se distingue également par sa maîtrise d'harmonies très complexes, s'affirmant comme l'un des artistes les plus complets du jazz.

Beat afro-cubain

A la fin des années 1940, Gillespie s'intéresse de plus en plus aux rythmes latins, qu'il s'emploie à introduire dans le jazz américain, aussi bien dans ses compositions que dans ses interprétations : il participe très activement à la mode de la musique afro-cubaine, jouant volontiers avec des musiciens sud-américains. Il fait ainsi figure de pionnier, apportant avant même les expériences jazz samba de Stan Getz des rythmes latino dans une musique populaire typiquement anglo-saxonne, se posant en précurseur de l'invasion des sonorités hispaniques dans la pop music. L'arrivée dans le groupe de Gillespie du joueur de conga Chano Pozo contribue de manière décisive à l'évolution latino de sa musique.

En 1952, présent en France pour participer au Salon du Jazz, Gillespie en profite pour monter un nouveau big band et se produit au Théâtre des Champs-Elysées. Le succès de ses concerts à l'étranger le porte et, à son retour aux Etats-Unis, il frappe très fort avec un sextuor rassemblant des noms parmi les plus grands du jazz : Oscar Peterson, Stan Getz, Herb Ellis, Max Roach et Ray Brown accompagnent Gillespie dans l'aventure de cette « dream team », qui dure le temps de quelques prestations mémorables.

En 1953, Dizzy Gillespie atteint l'un des points les plus hauts de sa carrière avec un concert donné au Massey Hall de Toronto, en compagnie de Charlie Parker, Charlie Mingus, Bud Powell et Max Roach, prestation légendaire célébrée par certains spécialistes enthousiastes comme « le plus grand concert de jazz de tous les temps ». Vers la même époque, Gillespie commence à jouer avec une trompette conçue sur mesure pour lui, qui se distingue par son pavillon incliné vers le haut, avec un angle de 45 degrés, et devient, avec ses joues gonflées, l'une de ses marques de fabrique. A la fin des années 1950, Gillespie poursuit son appropriation des rythmes latins en recrutant pour son orchestre le pianiste argentin Lalo Schifrin, futur compositeur de musiques de films, qui crée pour lui l'album Gillespiana.

Autour du monde

Comme la plupart des jazzmen, Dizzy Gillespie multiplie les collaborations et les ensembles musicaux, alternant petits groupes, big bands et prestations en solo : lors de ses participations aux concerts Jazz at the Philharmonic, mis sur pied par le grand manitou Norman Granz, la notoriété de Gillespie lui vaut de jouer en vedette et non en tant que membre d'un ensemble.

En 1956, il se fait l'émule de Louis Armstrong en utilisant sa musique pour faire acte de diplomatie et mène une tournée au Moyen-Orient, soutenu par le Département d'état américain, ce qui lui vaut d'entrer comme Satchmo dans la catégorie des « ambassadeurs du jazz ». Il se produit également en Yougoslavie et en Amérique du Sud, où il a la tâche de populariser la culture américaine. Notons au passage que le caractère farceur du Monsieur ne faiblit pas : en 1964, sa notoriété lui donne l'idée d'une candidature-gag à l'élection présidentielle américaine, où il promet de nommer Ray Charles président de la Bibliothèque du Congrès, Miles Davis directeur de la CIA, et Malcolm X Ministre de la Justice. Il finit par se retirer en apportant son soutien au président sortant Lyndon Johnson.

Mais la carrière de Gillespie n'est pas uniquement mue par les man?uvres géopolitiques de la Maison Blanche et c'est bien en tant que l'un des jazzmen les plus populaires du monde que l'homme aux joues de crapaud parcourt la planète : Afrique, Australie, Europe, Dizzy Gillespie passe littéralement son temps à courir les quatre coins du monde, se produisant volontiers dans le Cuba de Fidel Castro où il joue à son échelle les agents de réconciliation entre l'île communiste et les Etats-Unis.

En 1977, il fait la connaissance du jazzman cubain Arturo Sandoval, dont il devient une sorte de mentor et dont il contribue à lancer la carrière internationale en réalisant des tournées avec lui. Le jazzman participe également en 1978 à une « jazz party » organisée à la Maison Blanche par le président Jimmy Carter, poussant au passage ce dernier à interpréter avec lui la chanson « Salt Peanuts ». Vedette médiatique, Gillespie est l'une des figures les plus familières du jazz, et multiplie les apparitions à la télévision, où il fait parfois le clown avec un plaisir manifeste : entre mille prestations, on pourra par exemple retenir sa participation au Muppet Show, où il démontre qu'entre Kermit la grenouille et Dizzy Gillespie, c'est ce dernier qui gonfle le mieux les joues.

Honnneurs et jazz

Très actif malgré les années, le vétéran du jazz continue de tourner sans relâche, se produisant aussi bien dans des grandes occasions que dans des salles fréquentées par le tout-venant. S'il est chargé en 1988 de fonder l'Orchestre des Nations Unies, Gillespie ne se limite pas à l'ambiance compassée des antichambres diplomatiques, et réalise l'année suivante la bagatelle de trois cents concerts en un an, en parcourant vingt-sept pays différents avec un enthousiasme de jeune homme : il dit vouloir continuer à se produire « tant que [ses] joues tiendront le coup ». Toujours en 1989, il reçoit un Grammy Award pour l'ensemble de sa carrière.

Jusqu'au début 1992, Gillespie continue de tourner, mais sa santé finit hélas par le rattraper : atteint d'un cancer du pancréas, il doit prendre du repos pour se soigner. Il ne repartira malheureusement pas : le 6 octobre 1993, il meurt paisiblement dans son sommeil. Son aura est telle que, même après sa mort, ses musiciens continuent d'animer le Dizzy Gillespie All Star Band.

Grand fantaisiste du jazz, Gillespie était également quelque chose comme un théoricien, sa grande maîtrise des harmonies l'ayant amené, avec la création du be bop, à insuffler de manière tout à fait consciente une nouvelle vague musicale. A la fois clown et « intellectuel » de la musique, Dizzy Gillespie a de plus la grande chance d'avoir laissé un visage inoubliable, demeurant pour beaucoup l'un des plus forts symboles de la richesse de cinquante années de jazz.